Ce n’était pas arrivé depuis 71 ans ! En s’imposant à domicile, Johann Zarco devient le premier pilote français vainqueur du GP de France en catégorie reine depuis 1954 et Pierre Monneret.
Comment te sens-tu ?
Je ne vous regarde pas parce que ça m’émeut… Je sais que cette victoire, elle vous touche aussi. Pour tous les journalistes qui sont dans la moto et qui aiment l’histoire de la moto, qui aiment les pilotes français, que ça puisse arriver ici, maintenant, c’est top. C’est cool, c’est unique.
Tout ce qu’il y a autour de cette course, toutes les sollicitations, tout aurait pu être contraignant, mais finalement on dirait que ça a été positif…
Carrément, j’essaie de le prendre comme une super énergie. Pendant le week-end, j’ai organisé mon temps pour ce Grand Prix. À chaque rendez-vous, on essayait de partir 10 minutes avant, parce que je savais que j’allais être arrêté à plusieurs points stratégiques. Et je voulais m’arrêter au moins une minute, pour prendre du bon des gens. On ne peut pas satisfaire tout le monde mais tu montres quand même que tu as participé et tu as respecté leurs attentes. Il y a eu aussi des moments de ras-le-bol. Mais il suffit de s’isoler, d’attendre un peu, de se reposer.
Tu as pu saluer le public dans le dernier secteur…
Trop content d’avoir 20 secondes d’avance parce que si j’avais eu 10 secondes d’avance, je pense que je ne l’aurais pas fait. Je ne regardais pas, j’étais bien concentré mais là, j’ai un peu regardé sur le côté, à la sortie du Chemin Aux Bœufs et en voyant tous ces drapeaux qui s’agitaient, je me suis dit que oui, ça valait le coup.
En Australie, ça s’est fait très vite dans le dernier tour. Là, tu as eu le temps d’y penser. À quoi tu as pensé ?
Je pensais à quand même pousser un peu sur mon pneu avant. Pour le faire travailler, pour le ressentir. Mais je me disais aussi qu’il ne fallait pas que je fasse d’erreur. Je pensais aussi toujours à mon pneu arrière. Je pensais aussi, parfois, au fait qu’il puisse être en train de surchauffer. Mais tu le gères. Après, le fait de bien redresser la moto, c’est mon style. Et là, ça m’assurait à chaque fois du bon. J’ai quand même compté les tours. Mais, c’est surtout en voyant que même en assurant ou en étant sous contrôle, j’ai pris de l’avantage, que j’étais assez confiant. J’ai même un moment pensé : « Il ne faudrait pas qu’il y ait un problème mécanique. Mais il n’y a pas de raison qu’il y en ait. Parce que j’ai une Honda. » J’ai fait attention. Mais j’ai quand même à chaque fois essayé de ne pas trop ralentir, pour ne pas me faire surprendre. Je sais que la piste est très piégeuse, après tout ce que j’ai vu des 24 Heures du Mans, mais quand les pneus se mettent à bouger, c’est en général ce que j’arrive à gérer. Là, vu que j’avais de l’avance, je pouvais vraiment gérer.
Tu pars 11e de la grille de départ. On t’a vu être prudent sur le premier tour. À quel moment tu te dis que tu es en position de gagner ce Grand Prix de France ?
Je suis parti prudent. En fait, je n’ai pas eu le choix. Le départ était vraiment catastrophique. Parce que j’ai fait le choix de ne pas utiliser le système qu’on a pour le départ, pour être mieux dans les premiers virages parce que je ne savais pas comment ça allait freiner. Mais la moto a tellement cabré que j’ai perdu toutes mes places. Et en plus certains pilotes avaient des slicks. C’était un peu compliqué. Et donc, j’essaie de rattraper parce que je sais que je peux avoir de l’élan dans cette première chicane. Et là, ça se bouscule. Quand Mir a redressé, j’ai cru que j’allais tomber. J’ai même perdu ma main de mon guidon et c’est ça qui m’a permis de redresser la moto parce que j’ai enlevé mon bras gauche de mon guidon. Ça m’a permis de moins m’accrocher avec Mir mais je suis allé tout droit. Il y avait un peu des choses cassées au niveau de l’électronique, de mon réglage de frein, tout ça, et donc là, dans ma tête, c’était déjà perdu. Mais comme je suis avec les pneus pluie, que c’est quasi séchant, ceux avec les slicks vont vite. Mais, je me dis qu’ils ne peuvent pas aller vite très longtemps. Ma seule préoccupation, c’était Mir. Je sais que c’est le meilleur. Et là, il avait de l’avance sur moi. Et je voyais que je ne pouvais pas le rattraper mais, quand il a chuté, c’est là que j’ai pensé que la victoire était peut-être là.
Est-ce le plus beau jour de ta vie ?
Non, je n’aime pas dire que c’est le plus beau jour de ma vie. C’est exceptionnel. Je suis vraiment trop content de la victoire. Pour moi, c’est une victoire en Grand Prix. C’est ce que je cherche tout le temps, quel que soit le pays. Mais là, en France, écrire l’histoire, c’est top. Les titres (en Moto2), c’est encore autre chose. Je suis déjà heureux tout le temps. Mais là, je suis même presque pourri gâté. Donc, ce n’est pas plus mal.
C’est plus beau que la première en Australie ?
Ce qui est beau, c’est de le faire avec Honda parce que, finalement, la Honda ne gagne plus. La Honda ne gagne pas. Ce sont des conditions particulières. Mais au moins, j’ai assuré le job.
Pour revenir sur les pneus, vous étiez moins de la moitié à faire le choix de rester sur la grille au départ. C’est un risque que tu as pris puisque tu partais un peu derrière ou tu étais vraiment sûr que c’était le bon choix ?
J’étais sûr qu’il allait pleuvoir. On annonçait que la pluie allait arriver. Peut-être pas sur toute la durée de la course, mais ça allait être mouillé. Franchement, déjà des gouttes de pluie quand on a les slicks, sur cette piste-là, ça glisse. Si j’avais eu les slicks, je n’aurais pas roulé aussi vite que les mecs de devant. Aldeguer, il a bien géré, parce que ceux de derrière tombaient. Donc, en fait, on pouvait se faire avoir. Et moi, je sais que dans ces conditions, ça ne me mettait pas à l’aise. S’il y a un peu plus de pluie, le simple passage au stand coûte déjà 30 secondes. Donc, en fait, j’espérais ne pas perdre plus de 30 secondes sur les trois ou quatre premiers tours.
Est-ce que cette malchance en début de course t’a permis de partir un peu plus derrière et d’avoir une vision globale sur la course et donc sur ce que les autres faisaient ?
Possible. J’avais besoin d’un peu plus de recul pour m’en rendre compte. Mais c’est clair que quand c’était quasi sec, s’il pleuvait à deux ou trois endroits, j’étais quand même étonné que ça tienne pour les slicks, pour les autres. Mais j’ai senti qu’il y avait des endroits où peut-être j’aurais pu attaquer plus, tenter de rattraper Miller. Mais je me suis dit que j’allais tout cramer. Donc, il fallait essayer d’assurer. Ensuite, j’ai beaucoup joué avec l’électronique parce que ce n’était pas facile de comprendre. Parce que des fois, on sent que la moto, elle n’avance pas. Est-ce qu’elle n’avance pas parce qu’on a trop de puissance ? Est-ce qu’elle n’avance pas parce qu’on n’a pas assez de puissance ? J’ai un peu joué avec les boutons pour comprendre. Une fois que j’ai compris ça, j’ai senti que j’avais les choses sous contrôle.
Quand est-ce que tu comprends que tu es en tête ?
Déjà, quand je vois que ça commence à tomber, j’étais, je crois, 14e. Je vois 13e, 12e. Je vois Oliveira aussi, qui est le seul derrière moi. Je sais que Miller est devant. Ensuite, Miller tombe. Là, je me dis que je ne vois pas qui il peut y avoir devant Miller dans cette situation parce que, en général, c’est lui qui est le meilleur dans cette situation-là. Et à un moment, je vois P5, quand les gens commencent à rentrer au stand. Du coup, je me dis que c’est déjà bien. Et, en fait, je crois que j’ai vu première position sur un écran, avant même de passer sur la ligne et que le team m’affiche P1. Ensuite, j’ai cogité, est-ce que le team va m’afficher P1 ? Ou ils ne veulent pas me mettre sous pression, mais non. En fait, ils sont professionnels. Ils me montrent là où je suis. Et ils savent que j’ai quand même le contrôle. Donc non, je l’ai réalisé quand il fallait. Et surtout, quand les autres rentrent, tu te dis que tu ne dois pas être loin des positions de podium. Parce que, je répète encore, lorsque Jack chute, il était dans la même condition que moi, j’imaginais mal qu’il y ait d’autres gens devant. Et j’ai vu Aldeguer loin devant. Ça m’étonnait qu’il soit en pneu pluie.
Comment tu as géré les pneus ?
Le plus dur, c’est de ne pas cramer le pneu arrière à vouloir trop accélérer. Mais de toute façon, dès qu’il glisse, ou que l’on sent que la moto n’accélère pas, au lieu d’en donner encore, il vaut mieux relâcher l’accélérateur. C’est beau de se dire, j’ai gagné le Grand Prix en relâchant l’accélérateur pour mieux avancer. Je sais que l’arrière, je suis très sensible. Je l’ai bien senti, bien compris. Et c’est là où, pareil, je voulais jouer avec l’électronique pour comprendre est-ce que ça glisse, ça surchauffe, c’est de la puissance ? Mais quand j’ai fait le point, ça allait. Et finalement, les autres pilotes poussent plus sur le pneu avant et je pense qu’ils ont été beaucoup en difficulté avec le pneu avant. Et moi, qui suis plutôt timide sur le pneu avant, je pense que ça m’a aidé à être constant et à ne pas avoir de problème avec l’avant.
Qu’est-ce que la présence de tes parents a changé à ta victoire ?
Juste du kiff. Content qu’ils aient été là, mais on était déjà super contents. Ils avaient vécu un super truc. Le public a été incroyable. Victoire ou pas, le public est exceptionnel à me supporter de cette manière-là. C’est vraiment incroyable. Et je voulais qu’ils puissent vivre ça, voir ça, voir un peu plus, même au-delà du public, qu’est-ce que c’est mon travail dans la moto, avec Honda, avec le team. J’étais content qu’ils puissent voir ça. Et là, dimanche, on était contents et on préparait même déjà le retour après la course pour rentrer, etc. Mais là, victoire, c’est juste top.

